La faille du Col d'Ornon
Anciens blocs basculés  
 

Les massifs cristallins externes des Alpes Occidentales : d’anciens blocs basculés nés au Lias lors du rifting téthysien.

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TECTONIQUE. — Les massifs cristallins externes des Alpes Occidentales : d’anciens blocs basculés nés au Lias lors du rifting téthysien.
Note (*) de Marcel Lemoine, Maurice Gidon et Jean-Claude Barféty, transmise par Jean Aubouin.

Résumé : Les massifs cristallins actuels résultent d’un pré-découpage dès le Lias (rifting téthysien) par deux familles de failles orthogonales, certaines peu retouchées par la tectonique compressive alpine. Les failles NNE-SSW, à pendage E (vers l’océan), délimitent des blocs basculés synsédimentaires, ce qui renforce les analogies entre les marges passives téthysiennes et atlantiques.

Abstract : The crystalline massifs (uplifted sialic basement of North-Tethyan continental margin) were pre-carved in Liassic times by a network of orthogonal synsedimentary faults, some only slighty reworked by Alpine compressional tectonics. The NNE-SSW ones are E-dipping normal faults which outline tilted blocks. All this strongly confirms the striking analogies between Tethyan and Atlantic passive margins.

Le domaine dauphinois jurassique dont dépend la couverture des massifs cristallins externes est un des éléments de la marge continentale européenne de la Téthys, ou marge nord-téthysienne. L’évolution de cette marge est tout à fait comparable à celle des marges passives de l’Atlantique ([1], [2]), notamment des marges Ibérique et Nord-Gascogne [3], où, à un décalage prés dans le temps, le déroulement tectonique est le même après une période « pré-océanique » (Trias), l’évolution de la marge nord-téthysienne a débuté par l’épisode du rifting (Lias-début Dogger), suivi d’un affaissement rapide (fin Dogger-début Malm) qui annonce la toute première apparition de la croûte océanique (ophiolitique) dans l’océan téthysien proprement dit.

L’épisode du rifting est essentiel, il détermine la structure de la marge passive. Dans les marges Ibérique et Nord-Gascogne [3], il existe par places des horsts et grabens plus ou moins symétriques, mais le motif dominant de la structure est celui de demi-horsts et demi-grabens (fig. 2) résultant du basculement progressif, synsédimentaire, de blocs pluri-kilométriques limités par des failles listriques pentées vers le futur océan. En ce qui concerne les Alpes Occidentales, la tectonique synsédimentaire liasique déjà mise en évidence ([2], [4], [5]. [6]) répond à un motif encore mal précisé, mais pour lequel on a envisagé aussi le mouvement de blocs basculés ([1], [2]). L’exemple des massifs cristallins externes à la latitude de Grenoble nous parait aller dans ce sens.

1. Le découpage longitudinal de ces massifs correspond à l’existence de failles normales synsédimentaires d’âge liasique ([5] à [9]) à pendage E (présence d’olistolithes à matériel cristallin ou triasique dans les sédiments liasiques, transgression de ces sédiments sur les paléo-escarpements de failles). La faille F2 du Col d’Ornon [7] a atteint un rejet de l’ordre du kilomètre dès la fin du Lias ; la faille F3 (en cours d’étude), très comparable, se prolonge au S par le « linéament » d’Aspres-les-Corps [6] ; la faille F 1, scellée par du Jurassique moyen près de La Mure (J.C.B., observation inédite), correspond plus ou moins à l’accident médian de Belledonne.

2. Des failles transversales constituent une autre famille d’accidents synsédimentaires liasiques. Ce sont par exemple celle du Taillefer [10] qui décale le socle cristallin et sa couverture triasique de près de 700 m sans affecter, à l’Est, le Lias de la zone synclinale d’Ornon, ou bien celles qui ont été décrites dans le Beaumont [8] et au S de Venosc [9].

3. Modalités des reprises tectoniques alpines. - Les compressions alpines du Crétacé supérieur-Tertiaire se sont traduites par des déformations assez intenses [11] aussi bien de la couverture mésozoïque (plusieurs générations de plis, schistosité de fracture) que du socle (épaississement global de la croûte attestée par la profondeur actuelle du Moho, alors que le rifting aurait du au contraire conduire à un amincissement de cette croûte). Dans chaque bloc de cristallin, la surface antétriasique (fig. 1) dessine une voussure qui traduit ce raccourcissement au niveau superficiel; il en est résulté un fort pendage actuel des failles F 1 à F 3, mais sans rejeu chevauchant, du moins dans le secteur considéré il y a donc eu préservation des failles normales liasiques, malgré un contexte compressif non négligeable.


Fig. 1. — Les massifs cristallins dauphinois. L.M., La Mure ; B. Belledonne ; T. Taillefer ; G.R., Grandes Rousses ; P. Pelvoux ; ti, Tithonique du Pic d’Ornon.
Fig. 2 et 3. — Comparaisons, à la même échelle, avec la marge Nord-Gascogne (d’après Montadert et coll., 1979):
2, coupes (outre le contour des blocs et Ies failles, on a figuré la base des dépôts « post-rifting »);
3, cartes structurales, le domaine à croûte océanique étant dans tes deux cas situé vers la droite.

4. En annulant l’effet de ces déformations compressives pour restituer l’allure de ces massifs à la fin du rifting (milieu Dogger), on arrive (fig. 1) à l’image de trois blocs basculés pluri-kilométriques, limités à leurs bords orientaux par des failles normales à pendage E (donc du côté du futur océan); ces blocs coïncident avec les trois massifs de Belledonne externe-La Mure, Belledonne interne- Taillefer et Grandes Rousses-Rochail.

Les données de la stratigraphie et de la sédimentologie, actuellement en cours d’étude, permettent d’ores et déjà d’affirmer que le basculement de ces blocs s’est étalé dans le temps du Sinémurien au Jurassique moyen (biseaux stratigraphiques multiples, variations latérales de faciès aux différents niveaux du Lias).

CONCLUSIONS.

1. Beaucoup des contours actuels des massifs cristallins externes sont donc d’anciennes fractures liasiques. Dans certains cas au moins, ce pré-découpage tectonique n’a été que très peu retouché par la tectonique compressive ultérieure, qui a seulement redressé ou basculé les surfaces de fracture. Ainsi, les escarpements actuels du Taillefer (escarpement N-S limitant le massif à l’E avec plus de 1000 m de dénivelée; escarpement E-W qui dénivelle la crête sommitale de près de 700 m au N du Pic du Taillefer) ne sont autres que des failles normales liasiques exhumées nous disposons donc, localement, d’un modèle presque intact de la structure de la marge passive nord-téthysienne.

2. Héritages structuraux successifs. - Compte tenu de leurs directions, ces deux familles de failles liasiques pourraient correspondre à un rejeu du système de fractures tardi-hercyniennes NNE-SSW et NW-SE connu dans cette partie de l’Europe [12]. Au reste, les «synclinaux houillers » (E-Grandes Rousses. La Mure, Fond de France) se localisent précisément en bordure des failles limites de ces blocs.

Par ailleurs, certaines de nos failles liasiques pourraient être à l’origine de la localisation de certains chevauchements alpins (accident médian de Belledonne?). Un tel rejeu chevauchant de paléo-failles semble très vraisemblable plus au NE (massifs cristallins externes de Savoie et de Suisse) ([13], [14]). En particulier, en ce qui concerne l’origine des nappes helvétiques, on constate qu’il y a alternance [14] entre les séries liasiques réduites et lacunaires qui sont les couvertures autochtones des massifs cristallins (Aiguilles Rouges ou Gastern au NW, Mont Blanc interne ou Aar interne au SE), et les séries au contraire plus épaisses et pélagiques des nappes (Morcles entre Aiguilles Rouges et Mont Blanc; Doldenhorn entre Gastern et Aar; Wildhorn au SE d’Aar interne) en appliquant le modèle Taillefer-Grandes Rousses aux couples Aiguilles Rouges-Mont Blanc et Gastern-Aar, les séries des nappes correspondent au contenu des grabens (ou plutôt des demi-grabens ?) liasiques, tandis que les horsts (ou demi-horsts?) sont devenus les massifs cristallins actuels. Ainsi les zones hautes de la topographie actuelle auraient été préfigurées dès le Lias.

3. Ces données nouvelles confirment et précisent à la fois le style structural et la chronologie du rifting téthysien. Ainsi semble se dégager, encore plus nettement que par le passé [1], un modèle commun à l’Atlantique et à la Téthys. Modèle à l’évidence trop simple, certainement perfectible il suggère par exemple une « distension » crustale dans le sens WNW-ESE, mais l’étude plus détaillée des failles mentionnées ici, et la prise en compte d’autres aspects de la tectonique synsédimentaire liasique, comme les plis (cités dans [5] ou en cours d’étude), devraient conduire à l’élaboration d’une image certes plus complexe, mais mieux adaptée aux faits. Quoiqu’il en soit; dans les grandes lignes au moins, les analogies entre marges passives téthysiennes et atlantiques apparaissent clairement : même échelle de dimensions des objets tectoniques (fig. 2 et 3), même étalement des mouvements synsédimentaires sur les 15 à 20 M.A. que dure le rifting, enfin même style structural où dominent les blocs basculés, limités par des failles normales inclinées vers l’océan, et recoupés par des fractures transversales.

(*) Remise le 23 mars 1981.

[1] P. DE GRACIANSKY, M. BOURBON, O. DE CHARPAL, P. Y. CHENET et M. LEMOINE, Bull. Soc. Géol. Fr., 7, n° 21, 1979, p. 663-674.
[2] P. DE GRACIANSKY et M. LEMOINE, Excursion 27, Livret-Guides France SE (26e Congrès Géol. Int,., 1980).
[3] L. MONTADERT, O. DE CHARPAL, D. G. ROBERTS, P. GUENNOC et J. C. SIBUET, Maurice Ewing series 3, Amer. Geoph. Union, 1979, p. 154-186.
On sait que la structure profonde des marges de l’Atlantique est mieux connue là où le recouvrement sédimentaire est faible (marges maigres), ce qui est le cas des marges ibérique et Nord-Gascogne.
[4] J. HAUDOUR et J. SARROT-REYNAULD, Mém. B.R.G.M., 4, 1961, p. 665-683.
[5] H. ARNAUD, M. GIDON et J. L. PAIRIS, Géol. Alpine, 53, 1977, p. 5-34 et Comptes rendus, 287, série D, 1978, p. 218.
[6] H. ARNAUD, J. C. BARFETY, M. GIDON et J. L. PAIRIS, (Comptes rendus. 286. série D). 1978, p. 1335.
[7] J. C. BARFETY, M. GIDON, M. LEMOINE et R. MOUTERDE, Comptes rendus, 289, série D, 1979, p. 1207.
[8] M. GIDON et J. APRAHAMIAN, Bull. B.R.G.M, 1981, section I, n°1, p. 23-33.
[9] J. C. BARFETY et M. GID0N, Bull. B.R.G.M., 1981, section I, n°1, p. 11-22.
[10] J. DEBELMAS et J. SARROT-REYNAULD, Trav. Lab. Géol. Grenoble, 36, 1960, p. 51-58.
[11] J. P. GRATIER et P. VIALON, Tectonophysics, 65. 1980, p. 151-180.
[12] F. ARTHAUD et P. MATTE, Geol. Soç. Amer. Bull.,. 88. 1977. p. 1305-1320.
[13] J. C. BARFETY et R. MOUTERDE, Bull. Soc. Géol. Fr., (7), XXII, 1980. p. 557-566.
[14] H. MASSON, R. HERB et A. STECK, Excurs. I, Livret-Guides Suisse (26e Congr. Géol. Int., 1980).

M. L. et M. G., Laboratoire de Géologie alpine associé au C.N.R.S., (L.A. 69), Institut Dolomieu, 38031 Grenoble Cedex.
J.C. B. : B.R.G.M., 18, rue du Général-Champon, 38100 Grenoble.

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