La faille du Col d'Ornon
La tectonique alpine du massif cristallin du Taillefer  
 

La tectonique alpine du massif cristallin du Taillefer
(Alpes occidentales françaises) :
découverte de chevauchements vers le nord

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La tectonique alpine du massif cristallin du Taillefer (Alpes occidentales françaises) :
découverte de chevauchements vers le nord

par Jean-Claude BARFÉTY (*) et Maurice GIDON (**)

Résumé : On décrit un certain nombre d’affleurements triasiques non connus à ce jour et l’on examine leur position tectonique. Un jeu synsédimentaire triasique est mis en évidence sur une cassure N-S tandis que d’autres de même orientation s’avèrent avoir rejoué en chevauchement vers l’W. On signale surtout l’existence de failles E-W à vergence N dont l’une, la « faille de l’Armet » possède un fort rejet et se suit sur plusieurs kilomètres. La place et le rôle des failles analogues à cette dernière, dans le massif du Pelvoux, sont examinés et discutés.

INTRODUCTION

Le massif du Taillefer appartient à l’extrémité méridionale du rameau interne de la chaine de Belledonne (fig.1). Les affleurements du socle cristallin y sont nettement délimités, du coté E, par un accident majeur, subméridien, la Faille du Col dOrnon, qui a fonctionné en faille normale pendant la sédimentation liasique [Barféty et al, 1979 Barféty & Gidon, 1983]. La présente note s’intéresse essentiellement à la partie de ce massif qui est située entre le sommet du Taillefer et celui de l’Armet.

On sait d’autre part que d’assez nombreux témoins de la surface de la pénéplaine antétriasique sont conservés dans ce massif (et indiqués sur les cartes géologiques à 1/50.0000 [Debelmas & Barféty, 1972, Barféty et al, 1984]). Les uns se rencontrent sur les crêtes du massif, notamment aux abords du sommet du Taillefer et au sommet même du Grand Armet ainsi que peu au S à Roche Pan (fig.2). Les autres sont beaucoup plus en contrebas, notamment sur le plateau des lacs du Poursollet (au N du Taillefer).

Les dénivellations importantes qui séparent ces deux groupes d’affleurements ont été attribuées à des failles transverses, comme celle du versant N du Taillefer, qui ont été considérées jusqu’ici comme normales [Debelmas & Sarrot 1960] ou coulissantes [Sarrot, 1964], On a également envisagé, compte tenu de leur orientation, grossièrement orthogonale à la faille du Col d’Ornon, qu’elles aient fonctionné en même temps que cette dernière dans la phase initiale de l’expansion océanique téthysienne, découpant ainsi en tronçons les blocs basculés [Lemoine et al. 1981 ; Grand. 1988].


Fig.1 - Carte générale schématique du Massif du PeIvoux et des massifs cristallins à le latitude de Grenoble.
Le cadre tireté désigne l’emplacement de la figure 2. Les structures de la partie S du massif ne sont pas représentées.
1 – chevauchement de l’Armet ; 2 - chevauchements de Pierre Grosse, de Côte Belle et de Pied Montet ; 3 - chevauchement de la Muzelle ;
4 - chevauchement de la Meije 5 - chevauchement de Combeynot

Des explorations récentes nous ont amené à découvrir, entre Taillefer et Armet, plusieurs affleurements triasiques non répertoriés sur les cartes ainsi qu’un certain nombre de cassures affectant le Trias. Elles nous conduisent à reconsidérer l’interprétation de la structure de ce secteur et à la confronter avec celle de divers autres districts du massif du Pelvoux où se rencontrent des accidents comparables.

DONNEES DE TERRAIN

a) Les affleurement triasiques

1. Secteur de Combe Orsières

Les affleurements que nous avons découverts s’observent essentiellement aux abords du col de Combe Orsières, c’est à dire sur l’échine qui prolonge vers le N l’arête NW du Grand Armet (fig.2). Ils montrent essentiellement des dolomies litées en bancs décimétriques à métriques et à patine brune (« dolomies capucin »). Celles-ci reposent le plus souvent directement sur le socle, par l’intermédiaire d’un niveau arkosique décimétrique à métrique avec des anfractuosités ankéritiques.


Fig. 2 - Carte des environs de Plan Col, à l’W du col d’Ornon, de la vallée de la Malsanne et des villages de la commune de Chantelouve
(d’après les levés des auteurs).

Sur l’échine même du col, entre ce dernier et le point coté 2389, ces dolomies ont un pendage E modeste et affleurent quelques mètres en contrebas ouest de la ligne de crête. Elles s’appuient latéralement sur le cristallin qui forme cette dernière, sur une vingtaine de mètres de long, par l’intermédiaire de brèches à éléments décimétriques anguleux. Ces brèches, épaisses de un à deux mètres, sont mal litées et ont un très fort pendage W. Elles sont très distinctes des conglomérats du cristallin et tapissent la surface subverticale qui le limite (fig. 3).


Fig. 3 - Coupe de détail de l’échine du col de Combe Orsières, 250 m au SSW du point coté 2389 (commentaires dans le texte).

Cette disposition témoigne de la présence locale, pendant le Trias, d’un relief suffisamment abrupt pour générer des débris grossiers, ce qui ne peut être attribué qu’au jeu d’une petite faille active durant la sédimentation de cette époque. Cette faille est orientée N-S et dotée d’un rejet de type normal. Elle doit donc appartenir à la famille conjuguée antithétique de la grande faille du col d’Ornon (à l’inverse de cette dernière, le compartiment W est ici abaissé par rapport au compartiment E) : cela porte à conclure que le fonctionnement des failles N-S a été, dans ce massif d’une plus grande précocité qu’il ne l’est en général envisagé, c’est à dire au moins au Trias supérieur (âge actuellement retenu pour les dolomies capucin).

Les pentes situées en contrebas W de l’échine de Combe Orsières montrent encore plusieurs affleurements triasiques d’épaisseur décamétrique, qui sont échelonnés en altitude sur une dénivellation de l’ordre de 100 m : on peut présumer que cette disposition résulte du jeu d’accidents de la même famille, que les conditions d’affleurements ne permettent pas d’observer aussi clairement que sur la crête.

L’affleurement le plus occidental, situé au sommet des abrupts qui tombent sur le vallon de la Petite Montagne (fig. 2), montre quelques bancs de grés qui s’intercalent entre dolomies et cristallin. Ces couches ont dans l’ensemble un pendage modéré vers l’E mais localement ce pendage se rapproche de la verticale.

Deux autres petits affleurements s’observent sur la crête, l’un au Col même (il jalonne la « faille de l’Armet » décrite ci-après), l’autre 150 m plus au S et un peu plus haut, dans une brèche de l’arête d’accès à l’Armet.

2. Secteur de la Crête de la Baisse

Nous avons révisé la cartographie des affleurements qui sont disséminés sur la longue arête qui court, du N au S, depuis la Pyramide du Taillefer jusqu’à Plan Col. Eux aussi sont constitués surtout de dolomies litées à patine brune et reposent généralement sur le cristallin par l’intermédiaire d’un ou deux bancs métriques de grés. Cinq affleurements sont ici répartis aux alentours d’une zone un peu déprimée dénommée Clot Beaumont :

- L’affleurement des Mayes est observable vers 2570 m d’altitude, assez bas sur le versant S du sommet de ce nom (qui est lui même situé un peu au delà de la limite N de la fig.2). Il constitue un splendide petit graben isolé par deux failles normales NW-SE très redressée mais cependant convergentes vers le bas (fig. 4).


Fig. 4 - Coupe naturelle du sommet des Mayes, vue du S. des abords du point coté 2447.
Il est certain, en dépit de la médiocrité des affleurements, qu’iI n’y a aucune trace de dolomies dans les pentes du versant W du sommet des Mayes.

On est surpris de constater que son remplissage sédimentaire, qui disparaît sous les éboulis du côté N, n’affleure pas, dans cette direction, sur l’arête W du sommet des Mayes. Cela pourrait être mis sur le compte d’un étranglement vers le N, les deux failles qui le limitent étant alors supposées converger vers le N pour se réunir en une seule. Mais ce que l’on observe dans les affleurements plus méridionaux pousse à considérer comme plus probable que cette disparition du Trias résulte d’un chevauchement de la partie haute du compartiment E par dessus le remplissage du graben.

- L’affleurement « A » (fig. 2), le plus septentrional, est minuscule et émerge à peine des éboulis de sorte qu’il ne donne aucun renseignement structural.

- L’affleurement « B » (fig. 2), le plus oriental, est par contre entaillé par le versant qui tombe sur le col d’Ornon. Cette coupe naturelle révèle une structure en graben à fond doucement incliné vers le SE (fig. 5). Toutefois la faille qui le limite du côté E, pentée à environ 70° vers l’E, est visiblement chevauchante.


Fig. 5 - Coupe naturelle du petit col situe au N au point coté 2360,9.
On note que les plans de cassure se confondent avec la foliation cristallophyllienne. Celle-ci a donc dû être utilisée comme plan de glissement, tant lors au jeu ces tailles normales que lors du rejeu compressif de la faille limitant le graben du côté E (notée "phi").

Ce graben est situé, par rapport à celui des Mayes, dans l’azimut exact - NNW-SSE - des failles qui les limitent l’un et l’autre il est n’est donc pas douteux qu’il en représente simplement le prolongement méridional. Dès lors, comme il a été dit plus haut, la disposition chevauchante de sa marge NE donne vraisemblablement la clé de la disparition du Trias dans les parties élevées de la structure, conformément à ce que l’on observe au sommet des Mayes.

- L’affleurement « C » (fig. 2), le plus occidental, dessine un synclinal assez ouvert, limité par une faille du seul côté E. Cette cassure, N150, est sensiblement parallèle à celles des affleurements précédents. On en suit le prolongement vers le N, à flanc de montagne, en direction du col 2619 qui sépare le sommet du Taillefer de celui de la Pyramide. On peut surtout suivre presque pas à pas sur près de 300 mètres le contact, le long de cette faille, entre le cristallin et le Trias. On constate alors que sa surface est le plus souvent subverticale mais que localement elle présente des indentations, le cristallin de la lèvre E s’avançant vers l’W de quelques mètres en rebroussant les bancs de dolomie. Cette disposition résulte, selon toutes apparences, d’une déformation chevauchante posthume, aux dépens d’une faille normale, qui semble s’accuser plus nettement dans l’affleurement suivant.

- L’affleurement « D », le plus méridional, se développe aux abords N du point 2285. Il est limité du coté E de façon plus confuse, les affleurements étant plus médiocres. On y trouve plusieurs failles élémentaires, chevauchantes et orientées N150, qui se relaient. Elles prolongent à l’évidence la faille limitant l’affleurement le plus occidental et trahissent sans doute, elles aussi, une déformation chevauchante de cet accident. Du côté S ce dernier affleurement est limité par une autre cassure, transverse (étudiée ci-après sous le nom de « faille de la Baisse »).

En définitive il faut donc sans doute conclure que tous les affleurements de ce secteur montrent un même système de failles NNW, originellement normales, mais que les failles qui limitaient les grabens du côté E ont été déformées en failles inverses à fort pendage (fig. 6). Cette déformation semble avoir mis en jeu non seulement un basculement du plan de cassure vers l’W mais aussi un découpage de sa lèvre par des cassures chevauchantes mineures.


Fig. 6 - Coupe synthétique du secteur de CIot Beaumont, regroupant les observations faites sur les divers affleurements (commentaires dans le texte).

Ces observations rejoignent tout-à-fait celles relatées récemment par d’autres auteurs qui ont observé également dans le Taillefer des failles inverses à vergence W et y voient l’effet d’une phase tardive d’ « inversion » des fractures du massif (Gillchrist et al. 1987).

b) La faille de l’Armet

Il s’agit là d’une importante cassure qui traverse tout le massif, d’E en W, en passant environ 1,5 km au N du sommet du Grand Armet (fig. 2). C’est elle qui détermine, en fait, la face nord de ce sommet qui domine le cirque supérieur du vallon de la Vaunoire (secteur de Plan Col).

Une fois repéré sur place, le plan de fracture est assez facile à suivre dans le paysage car il est jalonné par une ligne de vires correspondant à une zone d’épaisseur métrique de roches schistosées. Mais ces vires sont souvent très inaccessible (versant E, dominant Chantelouve) ou garnies soit d’éboulis soit de névés jusque tard dans la saison ; c’est sans doute pour cela qu’aucun des géologues ayant précédemment parcouru ce secteur n’en avait signalé la présence. Nous l’avons cartographié sur plus de 3 km d’E en W et constaté ainsi qu’il est orienté en moyenne N70°E et penté vers le S-SE, de 45° à 65° selon les points.

Dans les falaises dominant la vallée de Chantelouve le tracé que nous lui attribuons semble totalement indépendant de celui de la faille E-W, subverticale, du Cros de Quinchiol (fig. 2). Il aboutit entre les affleurements mésozoïques de ce point et ceux de La Chalp et franchit l’arête principale au point 2082, au S de Plan Col, et y dessine évidemment un V topographique. C’est apparemment ce dernier qui a été représenté, sur la carte La Mure à 1/50.000°, comme un entrecroisement de failles verticales : d’après cette carte il y met en contact la série cristalline à conglomérats du Taillefer (au SW) avec celle des micaschistes et gneiss albitiques (au N et à l’E).

A l’W de ce point le tracé du chevauchement rejoint un éperon coté 2071 en déterminant une banquette garnie par un névé permanent (où aucune observation n’est donc possible). Plus à l’W, sur les versants E et W du col de Combe Orsières (qui sont eux d’accès facile), on peut par contre observer de près le plan de cassure, en quelques rares points où la neige et les éboulis ne le masquent pas.

On y trouve alors une lame de mylonite non métamorphique (donc alpine), atteignant par places plus de 1 m d’épaisseur, avec une texture « S/C » typique à schistosité redressées recoupées par des microfractures moins inclinées que les épontes. L’azimut des schistosités et des microfractures est en moyenne N70° ce qui indique donc un mouvement de chevauchement vers le N-NW, selon un azimut proche de N180°, conforme à celui suggéré par l’attitude de la surface de cassure. Ce rejet de faille inverse est en outre attesté en divers points par l’engagement, sous la surface de chevauchement, de croûtes pédogénétiques carbonatées et à poches ankéritiques (versant est du col, vers 2200 m d’altitude) et même d’un lambeau décamétrique de dolomies triasiques (au col même).

La présence (déjà signalée ci-dessus) de plusieurs autres affleurements de Trias, au N et au S du Col de Combe Orsières et surtout sur son versant W, montre bien que la plus faible déclivité des pentes aux environs de ce col est due au dégagement de la surface prétriasique. Celle-ci se situe donc ici à une altitude inférieure à 2400 m. Or cette surface antétriasi¬que est connue à la cote 2800 m, 1,5 km au S du tracé de la faille, au sommet du Grand Armet et à Roche Pan. Le rejet vertical de cette faille atteint donc environ 400 m, ce qui lui confère un déplacement de 500 ou 600 m vers le N, compte tenu du pendage de la surface de chevauchement.

Depuis le col le tracé de la faille peut être suivi vers le SW jusqu’au grand couloir d’éboulis du haut vallon de la Petite Montagne. Au-delà on le repère aisément à distance, dans les abrupts de la face N de la Tête de Barbabon. En ce point le chevauchement est décalé verticalement d’une centaine de mètres par une fracture subverticale dont le tracé se confond, de part et d’autre, avec celui des plans de la foliation générale des schistes cristallins (fig. 7).


Fig. 7 - Coupe naturelle du versant N de la Tête de Barbabon (arête W de l’Armet) montrant l’emplacement de la surface de faille de l’Armet (notée "phi") et son décalage par un plan N-S qui se perd dans la foliation cristallophyllienne.

c) La faille de la Baisse

On peut dénommer ainsi la cassure qui coupe la crête S du Taillefer (« Crête de la Baisse ») au N du point coté 2285 (fig. 2). Là encore on voit des dolomies triasiques s’engager sous le cristallin, qui affleure immédiatement au S, suivant une surface E-W à pendage proche de 45°.

Il s’agit là d’un accident vraisemblablement plus mineur que le précédent : en effet, si l’on tient compte de l’altitude du lieu, de celle des premiers affleurements triasiques connus plus au S (au col de Combe Orsières) et du pendage, faible vers le S, de ces derniers on peut estimer que le rejet doit approcher de 100 à 200 m (mais cette valeur reste évidemment hypothétique).

L’azimut du plan de cassure ne peut pas être estimé non plus ici avec autant de précision mais il est également proche de N70°E. Nous n’avons recueilli aucune indication permettant de caractériser la direction du mouvement.

BILAN DE LA FRACTURATION ALPINE DU MASSIF DU TAILLEFER

Les données fournies par les observations locales ne sont pas parfaitement décisives mais permettent cependant d’établir de bonnes présomptions quant à la place chronologique relative des différentes familles de cassures :

En ce qui concerne le jeu extensif des failles N-S il est clair qu’il est antérieur au chevauchement de l’Armet, le tracé de ce dernier n’en étant aucunement affecté, comme on le voit bien à Combe Orsières. Ceci est en accord avec ce que l’on savait déjà de leur jeu en failles normales synsédimentaires jurassiques. En fait nos nouvelles observations portent à faire débuter ce jeu dès le Trias supérieur.

Quant au rejet de chevauchement vers l’W qui se manifeste sur certaines de ces failles N-S, il a évidemment été acquis plus tardivement, donc vraisemblablement lors de la phase de raccourcissement E-W post-nummulitique. Il est en outre très plausible qu’il soit lié à un processus d’inversion des paléofailles normales, comme cela a été proposé pour des cassures analogues [Gilchrist et al. 1987].

Les chevauchements vers le N (d’azimut E-W) ne peuvent malheureusement pas être datés clairement ici par rapport aux mouvements à vergence W, même dans le secteur de la crête de la Baisse, où coexistent ces deux types de failles, les conditions d’affleurement y étant insuffisantes. Néanmoins, à la Tête de Barbabon (fig. 7) les failles d’azimut E-W sont apparemment antérieures à des glissements sur les plans N-S de foliation du cristallin. Bien que le rejet sur ces plans ne soit pas à vergence W on peut a priori plus aisément l’associer à un raccourcissement E-W qu’à toute autre déformation (d’autre part on constate dans l’exemple de l’affleurement « C » du Clot Beaumont qu’une telle utilisation de la foliation semble bien être intervenue aussi dans les déformations de ce type).

En définitive ces chevauchements vers le N semblent attribuables à une étape intermédiaire de déformation entre l’extension triasico-jurassique et les compressions E-W post-nummulitiques. Rien ne s’oppose donc à ce qu’ils relèvent de la phase des plissements antésénoniens du Dévoluy, comme cela a été déjà proposé pour les autres accidents de ce type du massif du Pelvoux [Gidon. 1979].

LES FAILLES E-W DANS LE MASSIF DU PELVOUX

Les failles E-W à vergence N signalées ici dans le massif du Taillefer appartiennent en fait à une famille de cassures qui constitue un trait propre à la partie septentrionale du massif du Pelvoux sensu lato, puisque les failles E-W de la partie S de ce massif sont au contraire déversées vers le S.

A - Principales failles connues (fig.1) :

Sans en faire un inventaire systématique, on peut donner la liste des failles à rejet chevauchant vers le N qui sont les plus marquantes (elles n’ont d’ailleurs souvent été signalées qu’à l’occasion de publications traitant d’autres thèmes et, de ce fait, n’ont pas toujours été décrites de façon très détaillée). En allant d’W en E depuis le massif du Taillefer on en rencontre essentiellement deux autres groupes :

a) Celui du massif du Rochail, entre les dépressions sédimentaires du Col d’Ornon et des Deux Alpes il comporte

- Les chevauchements, relativement modestes l’un et l’autre, du Rochail [Vernet. 1965] et de La Chave (versant W du Grand Renaud) [Barféty & Gidon 1983].

- Les chevauchements de Côte Belle [Desthieux & Vernet, 1970] et de Pierre Grosse (environs de Villard-Notre-Dame) [Barféty & Gidon, 1983]. Ils se prolongent apparemment en rive droite du Vénéon par un chevauchement contournant par le N le sommet de Pied Moutet. Il semble que malgré leur pendage S ces accidents manifestent un mouvement à vergence NW assez accusée (que l’on peut éventuellement mettre sur le compte d’une reprise post-nummulitique).

b) Celui du haut Vénéon, à l’E de la dépression sédimentaire des Deux-Alpes et du col de la Muzelle il est constitué par

- Le chevauchement de la Muzelle [Bartoli et al. 1974], qui traverse le haut vallon de Lanchâtra au N du Pierroux, avant de disparaitre dans les pentes de l’Alpe du Pin, en face de Saint-Christophe-en-Oisans

- Le chevauchement de l’Aiguille du Plat de la Selle [Vernet, 1965], qui se poursuit vers l’E par celui de la Meije.

Ces derniers ont été considérés comme n’en faisant qu’un seul, dénommé Chevauchement Meije - Muzelle [Bartoli et al. 1974], malgré l’interruption de leur tracé en rive gauche du Vénéon [Barféty & Pêcher, 1984]. Comme pour les précédents une vergence NW assez accusée y a été mise en évidence.

Enfin on peut rappeler que l’extrémité N du massif du Combeynot chevauche (avec un flanc renversé garni de Trias) sur le mésozoïque du col du Lautaret, avant de s’enfoncer, du côté E, sous la transgression nummulitique [Bravard & Gidon, 1979]. Ce dernier point, joint aux mesures radiochronologiques faites sur certains des accidents ci-dessus [Demeulemeester, 1982], conforte la datation néocrétacée proposée plus haut.

B - Relations entre les cassures de cette famille

a) L’examen de la carte du massif du Pelvoux (fig. 1) suggère que la faille de l’Armet puisse se prolonger, au delà de la dépression synclinale de Bourg d’Oisans, par celles de Côte Belle et Pierre Grosse. Les différences locales d’azimut du plan de chevauchement sont assez faibles pour ne pas constituer une grave objection à cette manière de voir. D’autre part le décalage cartographique observable entre leurs tracés peut facilement être mis sur le compte du rapprochement tectonique des deux flancs du synclinal de Bourg d’Oisans. Il y aurait alors là un deuxième grand accident E- W sensiblement parallèle au chevauchement Meije – Muzelle.

On peut même se demander s’il ne s’agirait pas là de tronçons d’un même grand accident ENE-WSW qui auraient été fortement décalés dans le sens dextre de part et d’autre de la bande mésozoïque des Deux¬ Alpes. C’est toutefois là une hypothèse qu’aucun fait précis ne vient pour le moment appuyer.

b) A ce sujet il faut bien remarquer que l’observation du terrain semble pourtant indiquer que ces fractures ne se prolongent apparemment guère au delà de l’interface socle - couverture. C’est en particulier le cas à la limite E du massif du Taillefer, et c’est même avant tout pour cette raison que la faille de la face N du Taillefer a été considérée comme antéliasique. Il faut souligner en effet que celle-ci n’est connue qu’indirectement, par le rejet qu’elle inflige à la pénéplaine antétriasique : aucun auteur, apparemment n’en a jamais observé la surface de cassure et l’on peut donc même s’interroger sur sa vraie nature. Est-ce bien une faille normale comme la géométrie de son tracé présumé le suggère ou serait-ce en fait une autre faille inverse ? Toutefois l’un de nous (J.C.B.) a eu l’occasion d’observer au pied de la face nord du Taillefer des brèches triasiques qui s’appuient sur une paléopente du socle cristallin qui est inclinée vers le S.

Dans le cas du Taillefer cette interruption du tracé contre la faille d’Ornon, orientée N-S, ne peut en tous cas être mise sur le compte d’un décalage par coulissement, comme on est tenté de l’envisager en premier lieu, puisque tout montre que les contacts stratigraphiques originels du Jurassique sur le cristallin sont conservés [Barféty & Gidon. 1983]. Par contre on peut sans doute l’attribuer au fait que la direction de mouvement est peu oblique à celle de cette faille N-S : elle ne saurait donc décaler de façon notable son tracé, non plus d’ailleurs que les celui des contours stratigraphiques de la marge W du synclinal de Bourg d’Oisans (où les limites des formations sont également N-S et subverticales) si elle les traverse.

c) Cependant, dans le même ordre d’idées, il faut remarquer que l’on n’a pas signalé souvent, dans la couverture, de structures chevauchantes vers le N. Un des rares cas connus à l’intérieur même du massif cristallin est celui du chevauchement qui prolonge celui de Pierre Grosse dans le versant N du Grand Renaud [Barféty & Gidon, 1983]. D’autres sont par contre visibles sur les marges W du massif par exemple au Vet (à l’E d’Entraigues en Valbonnais). Certes il est permis de penser, puisque le jeu chevauchant à vergence N a dû précéder les raccourcissements E-W, que les dernières déformations du sédimentaire ont pu largement obnubiler les traces de ces chevauchements dans la couverture. Toutefois il est étonnant qu’elles l’aient été à un tel point, si l’on considère l’importance des rejets constatés sur les failles E-W. On peut donc se demander si ces accidents s’y amortissaient rapidement (ce que l’on observe pour la faille de Pierre Grosse) ou s’ils ont été réorientés en chevauchements vers l’W par les déformations ultérieures de la couverture.

Enfin on peut être tenté d’envisager une autre hypothèse, qui est suggérée par le fait que, dans le chevauchement de Pierre Grosse, c’est en allant d’E en W que l’on observe un amortissement. Elle consisterait à admettre que l’on ait eu affaire à des chevauchements pivotants, dont la flèche aurait été croissante d’W en E et aurait atteint son maximum à la crête des anciens blocs basculés. Leur interruption vers l’E pourrait alors correspondre à leur branchement sur des rampes latérales, celles-ci ayant été déterminées par les paléofailles N-S (qui auraient alors rejoué, avec un rejet dextre, dans le seul compartiment chevauchant).

CONCLUSIONS

Les observations présentées ici conduisent essentiellement à deux types de constatations :

1° - Les décalages qui affectent, dans le sens N-S, l’altitude de la surface antétriasique ne sont pas tous à mettre sur le compte de la tectonique distensive, « de blocs basculés », du Jurassique mais peuvent aussi bien résulter de chevauchements vers le N. A la lumière des faits observés dans différents secteurs - notamment dans celui de l’Armet - il apparait en corollaire qu’une cassure qui ne se prolonge apparemment pas dans les dépressions sédimentaires séparant les différents blocs cristallins ne doit pas, sur ce seul critère, être considérée comme cachetée par le Jurassique.

2° - La place des accidents témoignant de compressions N-S dans la partie N du massif du Pelvoux a été certainement sous-estimée et leur rôle trop méconnu. Il se confirme que ces chevauchements vers le N sont attribuables à la phase anté-sénonienne. Comme ils possèdent en outre des rejets importants, leur apparente interruption par les structures N-S plus tardives n’en est que plus paradoxale. Cela incite à penser qu’ils ont pu avoir une plus grande continuité E-W qu’il n’y parait actuellement, mais les modalités de leur prolongation transversale restent néanmoins assez conjecturales.

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