Un exemple de sédimentation sur un abrupt de faille fossile |
Un exemple de sédimentation sur un abrupt de faille fossile : le Lias du versant est du massif du Taillefer (Zone dauphinoise, Alpes occidentales) Téléchargez le document original au format pdf (1,0 Mo)
Un exemple de sédimentation sur un abrupt de faille fossile : Le Lias du versant est du massif du Taillefer
* B.R.G.M. 18, rue Général Champon 38100 Grenoble.
RESUME — Au Sud du Col d’Ornon, le Lias supérieur, qui repose directement sur le cristallin (lu rebord oriental du massif du Taillefer, se distingue de celui du reste dit synclinal de Bourg-d’Oisans. parla présence de nombreuses intercalations de matériel détritique grossier (brèches, mégabrèches, olistolithes). La manière dont elles s’organisent constitue une illustration des modalités de fossilisation d’un grand abrupt de faille actif pendant la sédimentation marine.
ABSTRACT. — Sedimentation along an ancient fault escarpment : the Liassic formations along the eastern border of the Taillefer Massif (Zone dauphinoise, French External Alps) : Along the eastern border of the Belledone-Taillefer Massif, South the Col d’Ornon, Upper Liassic strata directly overlie cristalline basement rocks. They contain olistolithes of various rocks and include breccias and megabreccias which usually are not found in other parts of the Bourg-d’Oisans syncline. Their organization points to sedimentation along and on a submarine crustal fault plane.
Introduction. A la latitude de La Mure le prolongement méridional du massif de Belledonne est constitué par le massif du Taillefer dont la partie sud est représentée par les sommets de l’Armet (fig. 1). Leurs abrupts orientaux, qui tombent de près de 2 000 m sur la dépression des vallées d’Ornon et de Chantelouve, correspondent au tracé approximatif de la grande « faille du col d’Ornon » qui est, pour l’essentiel un accident synsédimentaire Iiasique (J.C. Barféty et al., 1979). Cet accident sépare donc deux blocs de socle, l’un et l’autre basculés lors de la tectonique distensive jurassique (M. Lemoine et al., 1981), qui sont le bloc de Belledonne à l’Ouest et celui des Grandes Rousses à l’Est (fig. 2). Dans cette optique le sédimentaire du Col d’Ornon et de la vallée de Chantelouve représente le contenu d’un demi-graben, l’actuel synclinal de Bourg.d’Oisans, ouvert par le basculement de ces deux blocs crustaux. La succession stratigraphique du synclinal de Bourg d’Oisans comporte de bas en haut 50 à 100 m de Trias d’abord gréseux et surtout dolomitique, sans évaporites; de 0 à100 m de spilites finitriasiques; de 500 à 700 m de « Lias calcaire » (Hettangien à Carixien inclus); de 500 à 800 m de marno-calcaires du « Lias schisteux » (Domérien à Aalénien inférieur inclus) où la stratification est en général très peu visible et souvent totalement masquée par le développement de la schistosité régionale omniprésente. Le fonctionnement synsédimentaire de la faille du Col d’Ornon est démontré par différentes observations parmi lesquelles la présence d’intercalations, dans les sédiments liasiques, de matériels détritiques plus ou moins grossiers qui se localisent exclusivement aux abords du contact sédimentaire/cristallin, alors que les couches des mêmes niveaux stratigraphiques, observables ailleurs dans le synclinal, n’en montrent aucune trace. Le but de la présente note est de donner une description de la constitution et de l’organisation de ces intercalations, dans le secteur situé au Sud du Col d’Ornon et à l’Ouest des villages de Chantelouve où elles sont particulièrement développées. Les affleurements de Lias, plaqués contre le cristallin du massif de l’Armet, y sont cependant discontinus (fig. 3) du fait du développement des éboulis et cônes de déjections qui garnissent le pied des abrupts : ils se répartissent en trois groupes qui seront examinés successivement du Sud au Nord.
A. Les affleurements de la Chalp de Chantelouve.
Aux abords immédiats du village de la Chalp une bonne partie des affleurements est constituée par des couches triasiques et particulièrement par des spilites. Cette circonstance pourrait laisser croire que l’on y trouve la base de la série mésozoïque, normalement transgressive sur le socle. Il n’en est rien, comme le montre l’examen de deux coupes naturelles situées aux extrémités respectivement nord et sud de ce groupe d’affleurements.
L’examen de cette coupe suscite les remarques suivantes : a) Il est évident qu’il ne s’agit pas là d’une succession stratigraphique habituelle, puisqu’en particulier les spilites triasiques reposent sur le Lias schisteux. Pourtant le contact entre ces deux terrains n’est pas dû à des mouvements tectoniques postsédimentaires; en effet il ne montre pas d’indices de friction et, notamment aucune déformation de la schistosité, subverticale, des marnocalcaires Iiasiques; au contraire, ce contact est accidenté d’indentations métriques qui font pénétrer les bancs de dolomies ou de spilites dans le sommet du Lias schisteux sous-jacent. De plus on y rencontre, en plusieurs points, des amas conglomératiques de plusieurs mètres de côté où prédominent des boules décimétriques de calcaires liasiques, accompagnées de fragments de spilites et de dolomie.
b) D’autre part, le Lias schisteux contient un grand nombre de fragments de ces divers terrains. Ces derniers, disséminés irrégulièrement dans une matrice marno-calcaire toujours prédominante, sont plus ou moins anguleux et d’une taille qui varie entre quelques centimètres et plusieurs mètres (on note particulièrement la présence de boules ovoïdes plurimétriques de spilites).
c) Les rapports entre la couverture sédimentaire et le socle n’évoquent en rien la succession stratigraphique qui recouvre habituellement ce dernier : d) La lame de spilites est moins inclinée que la surface du cristallin contre laquelle elle tend à s’appuyer; il est peu probable que ceci soit le fait de mouvements tardifs le long du plan de faille; en effet, son inclinaison est également moins forte que celle de la surface sommitale des couches de Lias calcaire sous-jacentes au Lias schisteux; de ce fait, les spilites recouvrent directement, du côté ouest, les bancs du Lias calcaire, Ceux-ci sont affectés d’une torsion qui les rebrousse vers l’Est sous le contact, et qui évoque un crochon d’entraînement au total, ces dispositions s’interprètent aisément par un redressement originel de panneaux s’appuyant en discordance de transgressivité (« onlap ») sur le miroir de la paléofaille, et par un glissement d’Ouest en Est de l’olistolithe de spilites, lors de sa mise en place.
2. La coupe méridionale (lb, fig. 3) est celle du talweg du torrent du Grand Rocher, en amont de La Chalp, jusqu’à l’altitude de 1 170 m (fig. 5a). L’examen de l’ensemble des affleurements de La Chalp montre que les spilites du sommet de la succession s’enfoncent, vers le Nord, sous le Lias calcaire de la coupe précédente, dont elles constituent le soubassement stratigraphique (fig. 5h). De même les dolomies triasiques affleurent sous ces spilites, conformément à l’ordonnance stratigraphique habituelle. Pourtant, cet ensemble triasico-liasique constitue en réalité un deuxième gros olistolithe indépendant de celui des spilites supérieures de la coupe septentrionale, comme l’indiquent les observations qui suivent, a) A son extrémité orientale la lame de spilites repose directement sur le Lias schisteux, par une surface irrégulière d’ailleurs, fortement indentée. b) Ces mêmes spilites reposent, dans le lit du torrent, sur des bancs de Lias calcaire très redressés; ces derniers sont recoupés presque orthogonalement par les spilites. De plus, l’extrémité supérieure des bancs liasiques se renverse vers l’Est, quelque mètres sous le contact, sans que la schistosité soit affectée par cette torsion (schistosité sécante) il s’agit donc vraisemblablement d’un crochon d’entraînement, lié au déplacement des spilites d’Ouest en Est, et antérieur aux compressions alpines; il est comparable à celui observé plus au Nord sous l’olistolithe supérieur de la coupe septentrionale (et qui est d’ailleurs de même sens). c) Les couches liasiques ainsi renversées passent, par la dislocation progressive et en quelques mètres, à un conglomérat à galets de Lias calcaire identique à ceux rencontrés dans la coupe septentrionale; ce conglomérat se fond lui-même, en quelques mètres aussi, dans les calcschistes du Lias schisteux, en direction de l’Est ceci confirme l’origine synsédimentaire de ce dispositif. d) Enfin l’ensemble du panneau triasique (d’ailleurs affecté d’un pli en genou d’axe N-S, déversé également vers l’Est et vis-à-vis duquel la schistosité régionale est sécante, se tronque par biseautage contre la surface du cristallin. Cette dernière prolonge sans modifications de caractères celle décrite à propos de la coupe septentrionale (fig. 3). En conclusion, c’est donc un olistostrome bien caractérisé, comportant au moins deux gros olistolithes mis en place successivement au Lias supérieur, qui s’appuie ici contre la paléofaille du Col d’Ornon. B. Les affleurements du versant est de Plan Col. Entre La Chalp et le Col d’Ornon, les affleurements mésozoïques se limitent à un chapelet discontinu au pied des abrupts de cristallin de Plan Col. Deux d’entre eux, particulièrement étendus, offrent des coupes intéressantes. 1) La coupe naturelle du ravin du Cros du Quinchiol (2a, fig. 3) est assez comparable (fig. 6) à la coupe septentrionale de La Chalp (fig. 4). Le Lias schisteux (où se rencontrent de mauvaises empreintes d’ammonites) contient des blocs métriques à décamétriques de dolomies et de spilites triasiques. Il est surmonté par deux lames superposées de spilites, elles-mêmes enrobées par un conglomérat à boules de Lias calcaire.
Dans le fond du ravin, le Lias schisteux est séparé du socle cristallin par une lame de dolomie jaune, épaisse de 1 à 2 m, qui repose sur 1 m de marbre blanc rubané, d’aspect fluidal et 1 m de grès grossier; ce dernier passe progressivement à une brèche à matériel cristallin qui s’insinue en septa dans la partie supérieure du socle. D’autre part, ces couches se biseautent vers le haut sur les deux versants, et le Lias schisteux repose alors directement sur le socle cristallin il est difficile de dire si elles représentent un olistolithe ou, plutôt, un copeau tectonique de Trias resté collé sur le miroir de faille. 2) Au Sud de l’échine cristalline du Sué (2b, fig. 3) plusieurs ravins montrent des coupes qui permettent l’observation en trois dimensions, sur plusieurs centaines de mètres de dénivellation et de distance horizontale, d’un dispositif sédimentaire très riche en intercalations détritiques (fig. 7a). Celles-ci sont encore interstratifiées dans le Lias schisteux, ici entièrement attribuable au Toarcien supérieur, puisqu’il a fourni des Pseudogrammoceras de la zone à Thouarsense et, vers le haut, des Dumortiera de la zone à Pseudoradiosa (J.C. Barféty et al., 1979). a) Les intercalations détritiques présentent ici un agencement remarquable les affleurements du bas versant, les plus éloignés du cristallin par conséquent, montrent des bancs interstratifiés, assez espacés et assez continus, de conglomérats grossiers. Leurs éléments, décimétriques, sont constitués de calcaires liasiques, de spilites et de dolomies triasiques, ainsi que de schistes cristallins, en proportions très variables d’un point à l’autre. Il s’agit souvent de blocs anguleux disposés sans classement sauf parfois au sommet des bancs, où, sur quelques centimètres, se développe une séquence gréseuse granulo-classée, Plus haut sur la pente, et plus près des affleurements cristallins, les bancs prennent un pendage de plus en plus fort, conforme à la déclivité de la surface topographique, et gagnent beaucoup en importance relative. Il s’agit toujours de conglomérats très polygéniques et très hétérométriques, mais les éléments anguleux ou de grande taille (jusqu’à 1 m) deviennent fréquents et « nagent » dans une matrice détritique plus fine. La forme beaucoup plus lenticulaire de ces bancs et leur terminaison abrupte confirme que leur mise en place correspond à un phénomène de coulées boueuses peu fluides (« debris flow »). Sur une frange de quelques dizaines de mètres en bordure des affleurements de cristallin, il s’agit enfin d’une véritable mégabrèche : les schistes toarciens se réduisent à de minces passées discontinues et sont plus ou moins envahis par des graviers centimétriques de cristallin ou d’autres éléments plus accessoires. Des brèches grossières, parfois encore un peu litées, s’interstratifient alors entre des panneaux métriques à décamétriques de dolomies triasiques et surtout de schistes cristallins. Il est intéressant de constater en outre que le pendage des couches s’accroît progressivement jusqu’à atteindre environ 45° vers l’Est; ce pendage reste néanmoins plus faible que celui du contact avec le cristallin, ce qui traduit une discordance de transgressivité (en « onlap ») de plus de 20°. L’origine sédimentaire de cette disposition est attestée par le fait que la surface du cristallin est assez souvent incrustée d’un enduit schisteux ou grésopélitique qui s’insinue dans les anfractuosités du contact et passe d’autre part progressivement au ciment des lits des brèches les plus fines.
Au total, les caractères de ce dispositif sont typiquement ceux des accumulations détritiques édifiées sur une paléopente qu’elles recouvrent en discordance, en passant latéralement à la sédimentation « normale » du moment : il y avait donc ici un escarpement où le cristallin, dénudé, a été noyé sous ses propres débris au cours du Toarcien supérieur, alors qu’à peu de distance de là s’accumulaient des vases hémipélagiques. L’inclinaison des couches les plus grossièrement détritiques, qui s’appuient directement sur le cristallin, a probablement été exagérée par la tectonique synschisteuse (également responsable en partie de la disposition synclinale de l’ensemble); néanmoins elle témoigne certainement en partie (et en tous cas au moins par l’angle qu’elles font vis à vis de la surface du cristallin) de l’inclinaison du paléoabrupt qu’elles ont progressivement recouvert (fig. 7h). b) Suivant les points la surface qui supporte les couches sédimentaires n’a pas la même disposition ni la même origine. - Du côté ouest il s’agit, comme nous venons de le voir, d’une dalle presque plane, inclinée à plus de 70° vers l’Est et très analogue, de ce fait, à celle qui supporte le Lias schisteux à La Chalp ou au Cros du Quinchiol. Ici aussi elle porte des tectoglyphes, discrets et diversement orientés d’ailleurs, et recoupe obliquement la foliation du cristallin (alors qu’en contrebas, lorsque celui-ci est recouvert en accordance par le Toarcien hémipélagique, la foliation est à peu près parallèle aux strates sédimentaires). Cette surface, orientée presque N-S se poursuit vers le Nord, au-delà des derniers affleurements sédimentaires et au sein même du massif cristallin, par un couloir mylonitique d’épaisseur métrique qui atteint, vers 1 850 m, l’échine rocheuse du Sué il s’agit donc d’un plan de faille bien caractérisé. Cette faille du Sué est très comparable, par son orientation, son pendage, son sens de rejet ainsi que par l’âge des terrains qui la fossilisent, à la faille du Col d’Ornon. Elle ne peut cependant être confondue avec elle car le tracé de cette dernière passe environ un kilomètre plus à l’Est et aucun fait de terrain ne permet de retenir l’hypothèse de son éventuel décalage par une faille transverse. La faille du Sué doit donc être considérée comme une faille satellite de celle du Col d’Ornon et comme découpant ainsi un bloc intercalaire dans le socle cristallin (fig. 7). - Du côté nord, les formations sédimentaires butent, dans le versant méridional de l’éperon cristallin du Sué (fig. 3) contre une surface très inclinée, grossièrement orientée E-W. Le tracé cartographique de détail de ce contact est ici accidenté de nombreux redans métriques ou décamétriques qui interdisent d’y voir le passage d’une faille. De plus, aucun miroir porteur ou non de stries, n’y est observable sous l’enduit sédimentaire gréseux, épais de quelques décimètres, qui tapisse la surface du cristallin (et recoupe presque orthogonalement la foliation de ce dernier). Enfin, les lits de brèches et les panneaux rocheux interstratifiés, les uns et les autres orientés N-S ne sont pas sectionnés le long de ce contact, pourtant orienté transversalement, mais s’infléchissent pour venir le rejoindre tangentiellement. Il s’agit donc d’une surface d’érosion antétoarcienne presque orthogonale aux directions des failles synsédimentaires de l’époque. - Du côté est, les couches recouvrent en accordance, selon une surface à pendage ouest, le cristallin qui affleure en bas des pentes (fig. 3 et 7a). La lacune totale du Trias et du Lias calcaire indique que ce cristallin appartenait encore à un domaine surélevé de la paléotopographie de cette époque et confirme donc qu’on se trouve à l’Ouest de l’accident principal de la faille du Col d’Ornon (fig. 7). D’autre part, la mise à jour du cristallin en ce point signifie que la surface d’érosion antétoarcienne se raccorde ici (ou passe progressivement) à une surface qui n’est plus pentée vers le Sud mais vers l’Ouest : ainsi les dépôts toarciens se sont-ils logés dans une sorte de niche, fermée vers le NW, qui avait été entaillée dans le cristallin du compartiment intercalaire entre la faille occidentale du Sué et la faille principale du Col d’Ornon (fig. 8). L’origine de cette entaille est conjecturale : on peut envisager que les matériaux manquant aient été enlevés en bloc et aient constitué un olistolithe analogue à celui qui est observable plus au Nord à la Grenonière d’Ornon (J.C. Barféty et al., 1979); ils ont pu aussi disparaître à l’occasion d’un effondrement et avoir alimenté des mégabrèches comme celles qui sont observables ici même. Quoi qu’il en soit, le fait que le rebord ouest de cette niche d’ablation soit constitué par le miroir même de la faille du Sué indique que l’existence de cet accident a favorisé ce phénomène d’arrachement de tout un panneau cristallin. Plus précisément, la localisation de ce phénomène a pu résulter de la rencontre du plan de la faille satellite, orienté légèrement plus vers l’Ouest avec le plan principal de la faille du Col d’Ornon. Il est remarquable en tout cas, et certainement pas fortuit, que le seul secteur où les débris cristallins sont abondants, soit précisément celui où l’on est amené à supposer l’intervention d’une érosion aux dépens du rebord de la faille. C. Les affleurements des abords méridionaux du Col d’Ornon. Au Nord de l’éperon du Sué, un nouveau placage sédimentaire, formé de Lias schisteux, est présent au contact du socle cristallin. Il est entaillé transversalement par le ruisseau du Buo dont les cascades en donnent, à portée même du col, une belle coupe (3, fig. 3). Ici, comme à la coupe septentrionale de La Chalp, le Lias schisteux contient des fragments de toutes tailles disséminés dans la matrice argilo-calcaire amas conglomératiques de boules de Lias calcaire qui se diluent progressivement à leur périphérie; panneaux plurimétriques de dolomies triasiques; puissante lame de spilites triasiques qui se suit sur 400 m de long à flanc de montagne et se biseaute de haut en bas, à son extrémité SE, au sein du Lias schisteux. La répartition cartographique des affleurements tend à indiquer qu’ils débordent ici sur la lèvre supérieure de la faille du Col d’Ornon cela suggère que le Lias supérieur ait pu également (comme au Sué) remplir une niche d’ablation entaillée dans l’abrupt de faille (fig. 8).
Au Nord du Col d’Ornon les accumulations détritiques disparaissent en même temps que du Lias calcaire s’intercale entre le Lias schisteux et le cristallin. D. Interprétation et conclusion. 1. Reconstitution d’un abrupt de faille sous-marine mettant à nu le socle continental. a) Les dépôts du Lias supérieur du revers est de l’Armet s’appuient partout en discordance de transgressivité (« onlap ») sur la surface du cristallin qui est donc une paléopente fossilisée. Cette dernière est souvent très plane, à peine corrodée par des ravinements de profondeur centimétrique et porte des tectoglyphes variés : il s’agit alors de plans de faille appartenant tous à une même famille d’orientation N-S, fossilisés au Jurassique. Toutefois le remplissage sédimentaire, riche en détritique, qui a submergé le paléoabrupt peut aussi reposer sur une surface d’érosion oblique aux plans de faille et remplir de vastes poches, entaillées en forme de niches d’arrachement dans le rebord soulevé du bloc basculé, La forme de ce rebord est, de ce fait, relativement complexe, plus ou moins encochée de sinuosités concaves, et son tracé n’est qu’approximativement assimilable à celui des paléofractures : il en résulte que l’actuel contact entre sédimentaire et cristallin ne correspond avec d’anciens miroirs de faille que de façon discontinue. b) Ces observations portent donc à considérer que les puissants abrupts orientaux de l’Armet représentent un ancien escarpement de faille sous-marine que l’érosion quaternaire a exhumé en lui restituant presque son aspect originel grâce à la circonstance favorable que, entaillé dans le cristallin, il a été principalement ennoyé sous les sédiments marno-calcaires tendres du Lias supérieur. Si le pendage de cette paléofaille a pu être accentué, par basculement (fig. 7b), lors des compressions alpines, on conçoit mal comment ces dernières auraient pu en accroître le rejet puisque celui-ci est de type normal, distensif. De fait le rejet stratigraphique actuel, certainement supérieur à 2 000 m (fig. 2), paraît attribuable, pour une très large part au moins, aux mouvements jurassiques; en effet l’organisation et la disposition des formations détritiques toarciennes montrent que ces dernières s’appuyaient originellement contre le plan de faille il en résulte que la tranche de terrain manquante, dès cette époque, du fait du rejet (égale aux épaisseurs cumulées du Trias, du Lias calcaire, du Domérien et du Toarcien inférieur à moyen) excède 1 000 m; encore n’est-il pas tenu compte, dans ce calcul, de la dénivellation supplémentaire, impossible à estimer, à laquelle se trouvait la surface de base du Trias dans la lèvre supérieure. L’allure de la surface actuelle du cristallin donne donc, à quelques distorsions près, une véritable reconstitution en grandeur nature de la morphologie des fonds sous-marins créés au Jurassique par les distensions téthysiennes. 2. Evaluation de la pente originelle de la paléofaille limitant le bloc basculé. La pente moyenne actuelle de l’abrupt oriental du massif de l’Armet ne représente évidemment pas exactement la pente originelle de la paléofaille exhumée d’une part elle a été atténuée par l’érosion quaternaire; d’autre part, il faut tenir compte de son redressement probable lors des compressions alpines. Or, le pendage actuel des fragments des miroirs de faille observables est constamment très voisin de 65 à 70°, tandis que l’inclinaison moyenne des sédiments qui s’appuient le plus directement sur ces miroirs est de l’ordre de 45°. Comme ces derniers n’ont vraisemblablement pas pu, dans de telles conditions sous-marines, avoir un pendage originel supérieur à 10°, il convient donc de réduire d’environ 35° la valeur du pendage de la faille, ce qui aboutit à chiffrer sa pente originelle aux alentours de 30 à35°. (fig. 7h). Ce résultat paraît très cohérent avec les valeurs de pendage des failles des marges continentales actuelles que révèlent les profils sismiques sous-marins (L. Montadert et al., 1979). 3. Composition et répartition des arrivées détritiques. Nous soulignerons, à ce sujet, plusieurs aspects. a) La répartition des matériaux se fait par amas locaux, de constitution très variable : certains matériaux sont ainsi particulièrement concentrés en poches; tel est notamment le cas des conglomérats de galets de Lias calcaire. D’autres sont plus facilement disséminés; par exemple les dolomies triasiques se trouvent aisément isolées à l’état de panneaux décamétriques, de blocs métriques ou de fragments décimétriques à centimétriques. Les spilites triasiques se caractérisent par leur relative concentration à la périphérie des gros olistolithes spilitiques et par leur présentation sous forme de boules ovoïdes. Tout ceci est en accord avec une mise en place par éboulements et glissements accidentels répétés. b) Dans la plupart des cas, on note une nette prédominance d’éIéments empruntés à la couverture sédimentaire: celle-ci a probablement été assez largement dénudée dans les rebords supérieurs des escaliers de failles. Compte tenu de l’ampleur de l’entaille du miroir de faille dans le socle cristallin, on peut dès lors s’étonner de l’absence souvent quasi-totale de débris de socle au pied de l’abrupt tectonique cela tient sans doute à l’absence d’une véritable érosion capable d’attaquer la surface de ces matériaux particulièrement résistants. Toutefois, nous avons vu que l’abondance locale de matériel cristallin pouvait être mise en relation avec l’effondrement de panneaux entiers, sans doute à la faveur de la rencontre d’une fracture secondaire avec la faille principale. c) La largeur de la bande sédimentaire concernée est apparemment assez réduite puisqu’elle semble mesurer moins d’un kilomètre, à partir du rebord du massif cristallin, en direction de l’Est. En effet, le nombre et l’épaisseur des intercalations détritiques ont déjà fortement diminué à une distance de quelques centaines de mètres (comme on le voit bien au Sué); d’autre part, on n’en rencontre pas trace dans les terrains de même âge qui affleurent, parfois à moins d’un kilomètre du massif cristallin, en rive orientale de la vallée de Chantelouve. Il est d’ailleurs remarquable que toutes ces intercalations aient des caractères sédimentologiques qui témoignent de leur proximité par rapport à la source d’émission de leur matériel constitutif et que l’on en observe nulle part qui aient un caractère plus distal, de type turbidite. Peut être doit-on y voir l’effet de dispositions paléotopographiques interdisant l’épandage lointain de ces matériaux, par exemple l’existence d’une contrepente à pendage ouest. d) La longueur de la bande, parallèle à la paléofaille, où le Lias supérieur présente ainsi le caractère d’un olistostrome est d’environ 4 km, On doit souligner qu’il s’agit pourtant là d’un des plus beaux groupes d’affleurements dans le genre, et que la région de Chantelouve est privilégiée à cet égard vis à vis des autres secteurs de la zone dauphinoise à cette latitude. Cette remarque conduit à souligner combien la présence de telles formations le long des paléofailles reste accidentelle et au total peu fréquente, malgré des indices locaux nombreux (M. Gidon et al., 1983), 4. Olistostromes et olistolithes en régime tectonique distensif. Tous les caractères qui permettent de reconnaître un olistostrome se trouvent réunis dans les couches du Lias supérieur de la bordure orientale du massif de l’Armet; pourtant il est hors de doute qu’aucune tectonique de chevauchement n’est ici à l’origine des glissements sous-marins et que ces apports de débris sont liés au fonctionnement de failles normales. L’exemple étudié ici constitue donc une bonne illustration de ce fait, peut-être pas toujours suffisamment reconnu, que les olistostromes ne caractérisent pas uniquement les chevauchements sous-aquatiques, mais peuvent également se produire en régime distensif, dès lors qu’une faille normale a un fonctionnement synsédimentaire. Remerciements : cet article doit beaucoup aux remarques et critiques constructives de M.M. Lemoine. REFERENCES MONTADERT L., DE CHARPAL Q., ROBERTS D., GUENNOC P. et SIBUET J.C. (1979). — Northeast atlantic passive continental margins : Rifting and subsidence processes. In Talwani M., Hay W., Ryan W.B.F. (eds.) : Deep drilling results in the Atlantic Ocean: Continental margins and paléoenvironnements, Maurice Ewing Ser., 3, Amer. Geophys. Union, p. 154-186. GIDON M., BARFÉTY J.C., MOUTERDE R., LEMOINE M., BRAVARD C. et PAIRIS J.L. (1983). — Accidents stratigraphiques liés à une activité tectonique synsédimentaire dans la couverture des massifs cristallins externes des Alpes françaises au SE de Grenoble. Comptes rendus du 108e Congrès National des Sociétés Savantes. (Grenoble, 1983), p. 153-163.
Manuscrit déposé le 5 décembre 1983, |
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